Cybersécurité en Afrique de l’Ouest: 2025

Introduction

À l’ère de la transformation numérique, la cybersécurité est devenue une priorité mondiale. En Afrique de l’Ouest, cette nécessité s'impose avec une urgence croissante face à la montée des cyberattaques, à la vulnérabilité des systèmes d’information, et à la faible sensibilisation des populations. Alors que les gouvernements et les entreprises investissent massivement dans les infrastructures numériques, le continent fait face à des défis critiques: manque de compétences spécialisées, cadre juridique encore inégal, et prolifération des menaces telles que les ransomwares, le phishing ou encore les malwares.

Selon un rapport de Kaspersky, plus de 10 millions de cybermenaces ont été détectées au Sénégal en 2024, avec une forte hausse des attaques par vol de mots de passe. Au Nigeria, 71 % des entreprises ont été victimes de ransomware, engendrant des pertes financières considérables. Ces chiffres ne sont que la partie visible d’un iceberg numérique en pleine expansion, révélant à la fois la fragilité et le potentiel de l’écosystème digital ouest-africain.

Cet article propose un état des lieux approfondi de la cybersécurité en Afrique de l’Ouest. À travers des statistiques régionales, des analyses sectorielles et des recommandations concrètes, il s’adresse à tous les acteurs gouvernants, entreprises, citoyens et experts qui souhaitent mieux comprendre et affronter les enjeux liés à la sécurité numérique.

1. Panorama de la cybersécurité en Afrique de l’Ouest

Au fil des années, l’Afrique de l’Ouest s’est engagée dans une transformation numérique ambitieuse, adoptant des technologies dans les secteurs public, privé, éducatif et financier. Cependant, cette modernisation s’est souvent accompagnée d’une exposition accrue aux cybermenaces, révélant les fragilités structurelles des systèmes d’information dans la région.

Statistiques clés et tendances régionales

Sénégal :

En 2024, selon le rapport de Kaspersky, plus de 10 million de cybermenaces ont été détectées sur le territoire sénégalais. Les attaques les plus fréquentes incluent:

  • Le vol de mots de passe via des outils automatisés,
  • Les attaques exploitant des failles dans le Remote Desktop Protocol (RDP),
  • Les malwares injectés via les réseaux Wi-Fi publics.

Nigeria:

Le Nigeria figure parmi les pays les plus touchés par la cybercriminalité sur le continent. D’après une étude menée par Sophos en partenariat avec le Cybersecurity Experts Association of Nigeria, on note:

  • 71 % des entreprises nigérianes ciblées par des ransomwares,
  • Une perte financière moyenne de 3,43 million de dollars par incident,

Des institutions financières et administrations publiques parmi les cibles prioritaires.

Togo:

Le Togo se distingue par sa volonté politique affirmée dans la lutte contre la cybercriminalité:

  • Un score de 88,8/100 au Global Cybersecurity Index de l’UIT en 2023,
  • Mise en place de Cyber Defense Africa (CDA), un organe spécialisé en cybersécurité,
  • Création d’un CERT national pour anticiper et gérer les incidents cyber.

Bénin:

Le Bénin, quant à lui, a multiplié les efforts:

  • Lancement du Centre National d’Investigations Numériques (CNIN),
  • Participation au HackerLab, un concours destiné à détecter les talents en cybersécurité,
  • Développement de programmes de sensibilisation pour les PME et les écoles.

Comparaison régionale t perspectives

Pays

Source: UIT, Sophos 2024, Kaspersky, UNDP, Africanews

La cybersécurité n’est plus un enjeu technique réservé aux informaticiens, mais bien un levier de souveraineté numérique et de stabilité économique. Ce panorama appelle à une coopération régionale renforcée pour faire face à des menaces globalisées.

2. Typologie des cybermenaces en Afrique de l’Ouest

Avec l’essor des technologies numériques dans les administrations, les entreprises et les foyers ouest-africains, la nature des cybermenaces s’est considérablement diversifiée. L’Afrique de l’Ouest est aujourd’hui confrontée à une combinaison de menaces globales et spécifiques à ses contextes locaux, souvent amplifiées par la faible sensibilisation des utilisateurs et l’insuffisance des infrastructures de défense.

Principales menaces identifiées

  1. Rançongiciels (Ransomwares)

Les ransomwares sont devenus la menace la plus lucrative pour les cybercriminels en Afrique de l’Ouest. Ils cryptent les fichiers d’une organisation ou d’un particulier et exigent une rançon pour les déverrouiller.

Au Nigeria, plus de 7 entreprises sur 10 ont subi ce type d’attaque en 2023.

Les secteurs visés: banques, hôpitaux, universités, télécoms.

  1. Phishing et ingénierie sociale

Le phishing est une technique d’usurpation d’identité numérique visant à voler des informations sensibles (mots de passe, données bancaires, identifiants d’accès).

Selon Interpol, 52 % des attaques réussies en Afrique sont dues au phishing.

L’ingénierie sociale est courante, notamment via WhatsApp, SMS ou e-mails frauduleux.

Les petites entreprises et les particuliers sont les cibles les plus vulnérables.

  1. Malwares et spywares

Les logiciels malveillants infectent les terminaux pour voler, espionner ou détruire des données:

Diffusés via clés USB, sites frauduleux, logiciels piratés.

  1. Exploitation des failles réseau et applications non sécurisées

Les failles non corrigées dans les systèmes ou logiciels sont souvent utilisées pour infiltrer les réseaux:

  • Absence de mises à jour régulières,
  • Utilisation de systèmes obsolètes dans les institutions publiques,
  • Non-respect des bonnes pratiques de cybersécurité.
Bénin (2022): paralysie temporaire de plusieurs services publics après une attaque de type ransomware contre un centre de données régional.
Ghana (2023): phishing massif ciblant les comptes bancaires via des faux sites mobiles.
Sénégal (2024): infiltration de l’infrastructure d’un opérateur télécom suite à une faille non corrigée.

3. Cadres juridiques et réglementaires

Face à la montée en puissance des cybermenaces, les pays d’Afrique de l’Ouest ont entamé une structuration progressive de leur arsenal législatif et réglementaire. Bien que les avancées soient inégales, plusieurs initiatives témoignent d’une volonté croissante d’assurer la protection des données personnelles, de sanctionner la cybercriminalité, et de poser les fondements d’une gouvernance numérique responsable.

Pour que la cybersécurité soit efficace, elle doit s’inscrire dans une logique régionale de souveraineté numérique avec des lois appliquées, des institutions compétentes et une justice capable de poursuivre les délits numériques.

4. Initiatives nationales et régionales en matière de cybersécurité

Au-delà des textes de loi, plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest ont entrepris des initiatives concrètes pour structurer un écosystème de cybersécurité opérationnel. Ces actions incluent la création d’organismes spécialisés, l’organisation d’événements techniques, la formation de talents, ainsi que des partenariats stratégiques internationaux. Ces initiatives marquent la transition d’une approche réactive vers une cyberdéfense proactive et souveraine.

  1. Togo: Cyber Defense Africa (CDA)

Le Togo a lancé en 2022 une structure inédite: Cyber Defense Africa, fruit d’un partenariat public-privé entre l’État togolais et le groupe européen Asseco.

Objectif: assurer la sécurisation des infrastructures nationales et accompagner les entreprises.

Missions:

  • Analyse des vulnérabilités,
  • Surveillance continue des menaces,
  • Assistance aux victimes d’attaques.

Le CERT Togo y est intégré, avec une capacité de réponse 24h/24.

  1. Bénin : HackerLab et sensibilisation locale

Le HackerLab Bénin est une compétition annuelle qui vise à:

  • Détecter et valoriser les jeunes talents en cybersécurité,
  • Promouvoir l’usage responsable du numérique,
  • Créer des opportunités d’emploi dans le secteur.

Parallèlement, le CNIN (Centre National d’Investigations Numériques) collabore avec les forces de sécurité pour poursuivre les cybercriminels.

  1. Sénégal: Journées nationales de la cybersécurité et CERT

Le Sénégal organise chaque année les Journées de la cybersécurité, réunissant :

  • Acteurs publics, entreprises, startups et experts internationaux,
  • Ateliers pratiques sur la sécurisation des données, la résilience des réseaux, et la cyberéducation.

Son CERT (Computer Emergency Response Team) pilote la détection et la gestion des incidents majeurs à l’échelle nationale.

  1. Nigeria: Partenariats publics-privés et formation

Le Nigeria, avec l’aide d’acteurs comme Microsoft, Sophos et Google, a lancé des programmes:

  • De formation de 5 000 professionnels en cybersécurité (2023-2025),
  • De renforcement de la résilience cyber des entreprises via la CSEAN,
  • De sensibilisation des PME au travers de la Nigeria Digital Economy Policy.

La CEDEAO a mis en place :

  • Une stratégie régionale de cybersécurité (validée en 2022),
  • Un réseau de CERT régionaux interconnectés,

Des exercices de simulation cyber (type cyber drill) avec l’appui de l’Union internationale des télécommunications (UIT) et de l’Union européenne.

Objectifs:

  • Améliorer la réponse aux incidents transfrontaliers,
  • Renforcer les capacités d’alerte rapide et de prévention régionale,
  • Favoriser l’adoption d’une norme commune de sécurité numérique.

  • Initiatives privées et internationales

Google Africa soutient la sécurisation des infrastructures cloud.

Interpol coordonne des enquêtes conjointes contre les réseaux cybercriminels en Afrique.

Des ONG comme Give1Project militent pour l’inclusion des femmes dans les métiers de la cybersécurité en Afrique francophone.

Ces actions démontrent une montée en maturité numérique de l’Afrique de l’Ouest, où la cybersécurité devient un enjeu stratégique national et régional. Toutefois, les efforts restent fragmentés, et le partage d'expertise comme la mutualisation des outils de cybersurveillance doivent être accélérés.

Les partenariats publics-privés, les formations continues et l’interconnexion des CERT sont autant de leviers pour bâtir un écosystème cyber solide, autonome et durable.

6. Défis persistants en matière de cybersécurité en Afrique de l’Ouest

Malgré les avancées notables dans les législations et les initiatives publiques, l’Afrique de l’Ouest reste exposée à de multiples vulnérabilités. Ces défis sont à la fois structurels, techniques, éducatifs et économiques, freinant le déploiement d’une cybersécurité robuste et inclusive. Comprendre ces blocages est essentiel pour proposer des solutions durables.

A. Insuffisance des infrastructures numériques sécurisées

La majorité des organisations publiques utilisent des systèmes informatiques obsolètes, sans antivirus ni pare-feu à jour.

  • Faible redondance des serveurs, absence de sauvegardes régulières.
  • Les réseaux des PME, très mal protégés, deviennent des points d’entrée privilégiés pour les cybercriminels.

B. Pénurie de professionnels qualifiés en cybersécurité

Selon un rapport du Centre d’Études Stratégiques de l’Afrique, l’Afrique comptera un déficit de 500 000 experts en cybersécurité d’ici 2030.

  • Faible nombre de formations universitaires spécialisées,
  • Manque de certifications reconnues à l’échelle internationale (CISSP, CEH, CISA),
  • Les talents formés localement sont souvent débauchés par des entreprises à l’étranger.

C. Faible sensibilisation des populations et des dirigeants

Beaucoup de décideurs sous-estiment encore la menace cyber, pensant que les attaques concernent uniquement les grandes puissances.

  • Les citoyens ne savent pas reconnaître un e-mail frauduleux, un lien malveillant ou une tentative de phishing.
  • Le manque de campagnes nationales de sensibilisation alimente les comportements à risque.

D. Difficultés juridiques et retard dans l’application des lois

- Absence de tribunaux spécialisés dans la cybercriminalité dans la majorité des pays.

- Faible coordination entre les organes judiciaires, les forces de l’ordre et les agences techniques.

- Enquête difficile à cause du caractère transnational des attaques et de l’anonymat des auteurs.

E. Manque de financements dédiés à la cybersécurité

- Les budgets nationaux dédiés au numérique restent très faibles (moins de 1 % du PIB dans la majorité des pays).

- Les entreprises locales, en particulier les PME, ne considèrent pas la cybersécurité comme une priorité d’investissement.

- Très peu de fonds régionaux mutualisés pour soutenir les projets de sécurisation numérique.

Ces défis révèlent l’ampleur des efforts encore nécessaires pour faire de la cybersécurité un pilier de la croissance numérique en Afrique de l’Ouest. Il ne s’agit pas seulement d’acquérir des logiciels ou de former des ingénieurs, mais de construire une culture de sécurité numérique à tous les niveaux: citoyens, entreprises, État.

  • La transition vers un écosystème digital résilient passera par:
  • Une meilleure intégration de la cybersécurité dans les politiques nationales de développement,
  • L’implication du secteur privé dans la recherche et le développement de solutions locales,
  • Une coopération renforcée à l’échelle régionale et internationale

5. Recommandations et perspectives d’avenir

Pour transformer les défis évoqués en opportunités, l’Afrique de l’Ouest doit s’engager dans une démarche intégrée, proactive et inclusive de cybersécurité. Cela implique des actions coordonnées entre les États, les entreprises, les universités, les ONG et les partenaires techniques internationaux. Voici les recommandations prioritaires pour bâtir un cyberespace plus sûr et plus résilient dans la région.

A. Renforcement des infrastructures numériques sécurisées

- Investir dans des centres de données nationaux dotés de systèmes de défense avancés (firewall, SIEM, redondance).

- Imposer des normes minimales de sécurité informatique dans les marchés publics et les services essentiels.

- Encourager les opérateurs télécoms à intégrer la cybersécurité dès la conception de leurs services.

B. Formation et certification des compétences locales

- Créer des filières universitaires spécialisées en cybersécurité dans les écoles publiques et privées.

- Subventionner l’accès aux certifications professionnelles internationales pour les jeunes talents (CISA, CEH, CISSP, etc.).

- Développer des laboratoires régionaux de cyberdéfense pour la pratique, la recherche et la veille.

C. Campagnes de sensibilisation à grande échelle

- Lancer des campagnes de cyberéducation citoyenne via la radio, la télévision, les réseaux sociaux et les écoles.

- Former les décideurs publics à l’analyse des risques numériques dans les politiques sectorielles.

- Développer des programmes d’alphabétisation numérique dans les zones rurales.

D. Renforcement juridique et judiciaire

- Créer des juridictions spécialisées en cybercriminalité dans chaque pays.

- Mettre à jour les lois existantes pour intégrer les nouveaux risques (cryptomonnaies, IA, données biométriques).

- Former magistrats, policiers et gendarmes à la traçabilité numérique et à l’analyse forensique.

E. Coopération régionale et internationale renforcée

- Mutualiser les ressources entre États via des CERT régionaux et des plateformes d’échange d’informations.

- Promouvoir une stratégie CEDEAO de cybersécurité alignée avec la Convention de Malabo.

- Renforcer les partenariats avec l’Union européenne, l’Union africaine, Interpol et l’UIT.

F. Incitation à l’innovation et au secteur privé

-  des incubateurs et fonds d’innovation en cybersécurité pour les startups locales.

- Encourager les assurances à développer des produits de couverture contre les cyber-risques.

- Faire de la cybersécurité un secteur d’opportunités économiques à part entière.

CONCLUSION

L’Afrique de l’Ouest est aujourd’hui à un tournant décisif de sa transformation numérique. Les progrès sont indéniables: développement d’infrastructures numériques, adoption des nouvelles technologies, montée de l’e-gouvernement… Mais ces avancées s’accompagnent d’un enjeu critique: sécuriser l’espace numérique pour garantir la confiance, la souveraineté et la croissance durable.

Les cybermenaces sont bien réelles: ransomwares, phishing, espionnage, piratage des données… Et leurs cibles ne se limitent plus aux grandes entreprises. Citoyens, PME, gouvernements, écoles: personne n’est à l’abri. Ce constat impose une réponse collective, structurée et ambitieuse.

Il ne suffit plus de réagir, il faut anticiper. Cela passe par:
- Des lois modernes, appliquées et connues de tous,
- Des compétences locales formées et certifiées,
- Une culture numérique de la prévention,
- Une coopération régionale forte face à des cyberattaques transfrontalières.